Pentecôte anti-Babel et communion

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Homélie prononcée le 7 juin 2022

Frères et Sœurs,

nous l’avons entendu dans la première lecture tirée des Actes des Apôtres, au matin de la Pentecôte, un vent violent a soufflé sur Jérusalem. Le feu divin est descendu sur les apôtres. Il a brûlé leur peur et délié leurs langues. Et ils sont sortis dans la rue. Ils ont annoncé la résurrection du Christ aux foules venues de tout le Proche-Orient. Ils ont proclamé les merveilles de Dieu avec un enthousiasme communicatif, en se faisant comprendre de tous, à la stupeur générale.

Question : pourquoi le récit de la Pentecôte insiste-t-il tant sur les langues étrangères que les apôtres ont parlées pour annoncer la résurrection ? Le vrai miracle de la Pentecôte consiste-t-il simplement à parler tout d’un coup une langue que l’on ne connaît pas ? Si c’est cela, aujourd’hui il n’y a plus de miracle de la Pentecôte, parce que les traducteurs automatiques sont de plus en plus performants et accomplissent en un clin d’œil la même prouesse. Or, il y a bien un vrai miracle de la Pentecôte, un miracle pour aujourd’hui, même avec nos traducteurs.

Lorsqu’on y pense, Frères et Sœurs, le plus grand obstacle à la communication, ce n’était pas les langues étrangères. Le plus grand obstacle à la communication, c’était, au-delà des langues étrangères, ce que nous appellerions aujourd’hui les barrières culturelles, psychologiques et philosophiques. Et cet obstacle était, en quelque sorte, redoublé par le contenu-même du message qui est la résurrection du Christ dans ce qu’elle a d’inouï et d’inimaginable (1Co 2,9). Alors pourquoi saint Luc, l’auteur des Actes des Apôtres, insiste-t-il tant sur les différentes langues parlées par les apôtres ?

Vous le savez, Frères et Sœurs, c’est parce que saint Luc veut nous dire que la Pentecôte est l’antidote, ou le contraire, de ce qui s’est passé à Babel, au début de la Bible, dans le livre de la Genèse (Gn 11,1-9), quand Dieu a brouillé le langage des hommes pour qu’ils ne se comprennent plus, et pour qu’ils cessent de construire cette immense tour de Babel, en s’imaginant qu’ils atteindraient le ciel en se passant de Dieu. Saint Luc veut nous dire qu’à Babel Dieu a semé la brouille entre les hommes pour enrayer leur projet de toute puissance et de construction gigantesque, mais qu’à la Pentecôte Dieu met fin à cette brouille en donnant l’Esprit-Saint, pour que les hommes retrouvent la communion avec Dieu et entre eux.

Car, au fond, la vraie question n’est pas de savoir si l’on parle matériellement la même langue ou pas. La vraie question, c’est de savoir si l’on se comprend, si l’on s’entend, qu’on parle matériellement la même langue ou pas. Vous le savez bien, Frères et Sœurs, on peut parler la même langue et ne plus du tout s’entendre ni se comprendre. Et, inversement, on peut très bien s’entendre et se comprendre, alors qu’on ne parle pas la même langue. Ce qui compte, c’est la communion de cœur et d’esprit.

Or, le projet de Babel, quel est-il ? Vous le savez aussi. Le projet de Babel, aujourd’hui comme hier, c’est de développer toujours plus la puissance humaine, pour conquérir l’infini. C’est de rassembler toujours plus les ressources humaines et naturelles, et réunir toujours plus les efforts humains, pour affranchir l’humanité de la maladie, de la vieillesse et de la mort, et jusqu’à supprimer toutes les limites et les fragilités du corps humain.

Et l’unité concrète, imposée de fait par la tour de Babel à l’humanité, c’est – comme l’a bien vu le pape Benoît XVI – l’unité avant tout technique d’une seule langue et d’une seule culture qui domine le monde et la planète, pour arriver à manipuler le vivant, et à fabriquer l’homme lui-même, en se passant de Dieu, et en prenant sa place.

Or, que se passe-t-il à ce moment-là ? De nos jours nous le voyons et nous le sentons bien. Au moment-même où il n’y a jamais eu autant de communication entre les personnes, et autant de circulation d’information entre les réseaux, la communion et la compréhension mutuelle restent toujours aussi difficiles et aussi laborieuses. La haine en ligne, la violence et les horreurs ont plutôt pour effet d’attiser les conflits, au point, nous dit Benoît XVI, que les hommes en deviennent plus méfiants et plus agressifs, et que se comprendre les uns les autres paraît demander trop d’efforts, si bien qu’on se replie finalement sur ses cercles habituels et sur ses propres intérêts.

Et le monde, plus connecté que jamais, accouche, en réalité, d’un monde plus éclaté que jamais. C’est cela, le phénomène de Babel où l’on se brouille et ne se comprend plus. Comme au début de la Bible, quand les hommes s’enivrent de leur propre puissance, au point de ne plus vouloir dépendre de Dieu, quand ils s’imaginent qu’ils ont enfin les moyens de tout définir et de tout reconstruire, y compris l’humain lui-même, alors arrive un certain moment où leur unification technologique autour d’une même langue et d’une culture dominante se retourne contre leur communion.

Et leur entente mutuelle se brouille et se brise en de multiples parties qui ne se comprennent plus parce que leurs intérêts sont devenus divergents et qu’ils ne parlent plus le même langage.

C’est cet éclatement de Babel, c’est ce brouillage malgré les unités apparentes et les connexions mondialisées, c’est cette incompréhension qui est symbolisée par les langues étrangères de la Pentecôte, et par les barrières insurmontables que ces langues peuvent représenter quand la communion n’existe plus.

Et c’est sur cet arrière-fond du langage où l’on ne se comprend plus que l’Esprit de la Pentecôte est venu comme un feu guérisseur qui réunifie les esprits et les langues dans la louange de Dieu, en respectant leurs différences, en faisant même de leurs différences une richesse, et en renouvelant la face de la terre.

L’Esprit-Saint est descendu comme un feu qui ne détruit pas ce qu’il touche, mais qui embrase les réalités humaines, pour qu’elles donnent le meilleur d’elles-mêmes. L’Esprit du Christ ressuscité a rempli les cœurs pour les purifier de la logique de Babel qui est la logique de l’avoir et de l’intérêt, de la concurrence et de la domination. Telle est l’œuvre de l’Esprit-Saint dont le Christ a dit dans l’évangile qu’il est le Défenseur, c’est-à-dire celui qui nous protège de nos instincts démesurés qui ne conduisent qu’à la guerre.

Frères et Sœurs, nous ne sommes pas un peuple d’individus asservis peu à peu à la puissance de Babel et à la domination de la pensée unique et de son projet d’une humanité future immortelle et athée. Nous sommes une grande assemblée d’hommes et de femmes libres qui viennent de tous les horizons, qui répondent librement aux impulsions de l’Esprit-Saint, et qui s’attachent à bâtir dans la foi et dans l’espérance la civilisation de l’amour, avec ce qu’elle contient déjà d’éternité.

Alors, quelles que soient nos faiblesses et nos imperfections, peut-être même aussi nos fautes, n’ayons pas peur, et soyons heureux de pouvoir dire à nos contemporains, dans la douceur et le respect, combien la joie est grande quand on accueille l’Esprit de Dieu, et combien la communion des cœurs est belle quand on partage humblement la paix qu’il donne, et qu’il apporte à notre monde. Amen.

Père Patrick Faure

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