La guérison de l’aveugle-né

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Homélie prononcée le 14 mars 2021

Frères et Sœurs,

Dimanche dernier pour le premier scrutin des catéchumènes, saint Jean nous a raconté la belle rencontre de Jésus avec la samaritaine. Vous vous en souvenez. Cette femme venait pour boire de l’eau, mais sa soif d’eau devenait le symbole de sa soif de Dieu. Et l’eau du puits devenait, à son tour, le symbole de l’Esprit-Saint, l’eau vive de l’éternité donnée par le Christ pour abreuver notre soif d’infini.

Aujourd’hui, pour le deuxième scrutin, Jésus est à Jérusalem, et il rencontre un homme aveugle de naissance. Il va le guérir en lui mettant de la boue sur les yeux, et en l’envoyant se laver à la piscine de Siloé. Mais à peine guéri de sa cécité, cet homme va devoir subir tout une série d’interrogatoires de la part des pharisiens, et, en même temps, il va faire un véritable chemin de conversion qui va le conduire jusqu’à la foi en Jésus, et jusqu’à se prosterner devant lui.

Là encore, dans ce magnifique épisode, certains éléments tout simples et tout concrets deviennent des symboles de la vie spirituelle et de la relation à Dieu. À commencer par le fait de ne pas voir. L’aveuglement physique de cet homme devient le symbole de l’aveuglement spirituel, aveuglement spirituel communément répandu qui considère que ce malheureux est puni par Dieu parce qu’il a péché lui ou ses parents, ce qui fait de Dieu un être dur et rigoriste, et, dans la même ligne, aveuglement spirituel des pharisiens qui, à cause de leur légalisme intransigeant, refusent de voir la main de Dieu dans la guérison accomplie par Jésus. Mais parallèlement, la lumière que cet homme guéri découvre n’est pas seulement la lumière extérieure du jour. Cette lumière devient aussi le symbole de la lumière intérieure de la foi qui fait reconnaître en Jésus « le Fils de l’Homme », c’est-à-dire le personnage divin contemplé en vision par le prophète Daniel deux siècles auparavant.

Pour saint Jean il y a toujours un lien très intime entre la vie physique et la vie spirituelle – c’est cela l’incarnation de Dieu dans notre chair -, entre la réalité extérieure et visible et la réalité intérieure et invisible. Et il ne faut pas séparer ce que Dieu a uni. N’inventons pas un christianisme désincarné. La guérison de l’aveugle n’est pas seulement une illumination intérieure, un éveil de conscience, ou un changement de regard sur le monde et rien de plus. Non. La guérison de l’aveugle est bien réelle et bien matérielle, au point qu’on a du mal à reconnaître cet homme qui n’avançait qu’à tâtons, en palpant les murs, et en se guidant aux odeurs et aux bruits dans les rues de Jérusalem.

Comprenons, Frères et Sœurs, qu’être guéri par le Christ, c’est rester soi-même - « c’est bien moi » dit l’ancien aveugle – mais que c’est être libéré de tout ce qui empêchait d’être soi, et c’est devenir enfin soi-même au point qu’on est méconnaissable. Et cela d’autant plus que cette guérison du corps s’accompagne d’une guérison du cœur, du cœur qui s’ouvre à la grâce et qui reconnaît la présence et l’action du Dieu invisible. Cette guérison n’est donc pas seulement « scientifiquement inexplicable », comme on le dirait aujourd’hui à Lourdes ou ailleurs. Cette guérison est un vrai miracle parce qu’elle va de pair avec un acte de foi qui parachève le rétablissement de la santé physique.

Mais cet acte de foi ne se fait pas d’un coup. Il est progressif.

Et, plus précisément, il est l’aboutissement d’une controverse assez longue entre l’ancien aveugle et les pharisiens qui le mettent en procès à cause de Jésus accusé d’avoir violé la Loi en faisant une guérison le jour du sabbat. Sous l’effet de la polémique, l’ancien aveugle parle d’abord de « l’homme qu’on appelle Jésus ». Ensuite, il affirme publiquement que Jésus est un « prophète », et qu’il « vient de Dieu ». Et, finalement, il croit en lui et l’appelle « Seigneur ». Autrement dit, voilà que cet aveugle, à qui le Christ a ouvert les yeux, grandit dans la foi, en étant confronté à la contradiction.

Il ressemble à l’Église elle-même qui a reçu la lumière du Christ au baptême dès le temps des apôtres, mais qui, très vite, a dû grandir dans la foi en affrontant les erreurs et les remises en cause des premiers siècles chrétiens. Et cet aveugle guéri par le Christ ressemble aussi aux catéchumènes qui doivent, à certains moments, supporter des épreuves ou même des hostilités pour aller jusqu’au bout de leur confession de foi. Et ce qui vaut pour les catéchumènes, vaut aussi pour chacun d’entre nous, Frères et Sœurs. L’évangile de l’aveugle né nous rappelle qu’avancer dans la lumière du Christ demande tôt ou tard qu’on prenne position pour lui, dans un environnement humain qui n’est pas toujours favorable. C’est cela, « être témoin ». Saint Jean nous redit que la foi ne s’approfondit pas, ne s’affermit pas, ne devient pas adulte sans un certain combat spirituel contre toutes sortes de résistances, résistances qui sont représentées, ce matin, par les pharisiens, mais résistances qui, en réalité, habitent aussi nos cœurs, même quand nous voulons croire en la bonté de Dieu.

Car, au fond, ces résistances quelles sont-elles ? Ces résistances intérieures, ce sont nos certitudes religieuses auxquelles nous nous accrochons comme à des sécurités, au risque de nous y enfermer de manière intransigeante et rigoriste. Le pape François nous appelle, au contraire, à être une église « en sortie », une église « comme un hôpital de campagne » qui, tout en étant sereine dans ses certitudes, se penche sur les blessés du monde pour apporter la douceur de Dieu et l’ouverture d’esprit, lui, le Saint-Père, qui s’aventure en Irak sur les ruines de l’État Islamique, pour cultiver entre chrétiens et musulmans des relations pacifiques dans lesquelles Dieu agit.

S’il fallait résumer en quelques mots la leçon de cet évangile et sa longue dispute avec les pharisiens, nous dirions qu’il nous appelle à faire que nos certitudes religieuses ne soient pas des forteresses qui nous ferment à l’inouï de Dieu, mais soient plutôt des points d’appui qui nous aident à nous ouvrir à l’inconnu, que cet inconnu soit une autre confession religieuse, ou que cet inconnu soit, plus radicalement encore, totalement étranger à nos idées ou nos mentalités. « Mes pensées ne sont pas vos pensées », nous dit le prophète Isaïe. Et Dieu est au-delà des apparences, comme l’a rappelé la première lecture. Croire en Dieu, Frères et Sœurs, c’est toujours croire plus que ce que l’on voit avec les yeux du corps, avec les certitudes acquises et les savoirs établis. C’est croire en un invisible qu’on ne peut percevoir qu’avec les yeux du cœur.

L’aveugle a vu la lumière du jour, oui. Mais avec les yeux de son cœur il a vu la divinité invisible incarnée dans l’homme Jésus. Et il a cru. Cet aveugle n’avait jamais vu la lumière, ni les formes, ni les couleurs, ni les visages, ni le monde. Il ne pouvait même pas les imaginer, puisqu’il n’avait jamais vu d’images. Sa cécité le collait à la terre et au sol, et l’empêchait de lever les yeux vers les hommes et vers les grands espaces.

Il était la figure des pharisiens aveuglés par le légalisme religieux. Mais il était aussi la figure de nos contemporains souvent aveuglés par leurs certitudes scientifiques, et par leur confiance quasi religieuse en leur technologie.

Or, l’œuvre de Dieu qui a commencé sur notre terre avec la résurrection du Christ, au matin de Pâques, et dont nous attendons le plein accomplissement dans notre corps et dans notre univers, cette œuvre de Dieu est aussi impensable et inimaginable pour nous que la lumière du jour pour un aveugle né. Raison de plus pour que nous gardions le cœur et l’esprit ouverts aux sollicitations de la grâce et aux miracles inattendus. En ce dimanche dit de « Laetare » - en latin « réjouissez-vous » - soyons donc dans la joie parce que, à travers le clair-obscur de notre monde, la lumière éternelle du Christ ressuscité filtre déjà, et vient toucher les yeux de notre cœur.

Soyons les humbles ambassadeurs de cette lumière, et, comme l’aveugle guéri, laissons l’amour du Christ filtrer dans nos regards quand nous témoignerons de lui. Amen.

Père Patrick Faure

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