De la Transfiguration

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Homélie prononcée le 28 février 2021

Frères, et Sœurs,

En ce deuxième dimanche de Carême l’Église nous remet en mémoire la Transfiguration du Christ, ses vêtements resplendissants, son visage comme le soleil, son corps déjà glorifié, comme un avant-goût de Pâques.

Le contraste est saisissant avec la défiguration qu’il subira sur la Croix. Le contraste est saisissant avec la situation des chrétiens persécutés dans le monde, au Proche Orient ou en Afrique ou ailleurs. Et comme s’il fallait encore ajouter à ce contraste insupportable entre la splendeur de la Transfiguration et les douleurs du Christ ou de ses frères après lui, souvenons-nous qu’en 1945 c’est précisément le jour où la Transfiguration est fêtée, le 6 août, que la première bombe atomique a été lancée sur Hiroshima, et a entraîné la mort d’au moins 200 000 personnes.

Comment comprendre que Jésus, dans son corps, irradie cette lumière de gloire juste après avoir annoncé à ses apôtres les souffrances de sa Passion, et avant d’entrer lui-même dans ces souffrances où il sera suivi par la foule innombrable des chrétiens et des justes souffrants à travers tous les siècles ?

Disons d’abord que la Transfiguration du Christ n’est pas contredite par la défiguration de l’humanité qui souffre et qui meurt. Car la Transfiguration est autre chose qu’un encouragement moral qui nous aiderait à supporter les épreuves en serrant les dents et à nous dire qu’au bout du tunnel tout s’arrangera. Déjà l’histoire des Apôtres montre bien que la Transfiguration ne les a pas aidés à supporter la Passion. Il n’y a aucun rappel de la Transfiguration dans les évangiles de la Passion du Christ. Les Apôtres ont oublié la gloire. Ils se sont presque tous enfuis, dans le scandale et l’incompréhension, dans la douleur et dans la honte. Le Crucifié défiguré n’avait plus rien à voir avec le messie transfiguré qui rayonnait de gloire. Le spectacle de la Croix était insoutenable.

Ce que nous devons comprendre, en fait, c’est ce que la Vierge Marie ou le disciple bien-aimé ont compris, à savoir que dans toutes les horreurs du Vendredi Saint la gloire qui s’était rendue visible à la Transfiguration était, en réalité, le rayonnement de l’amour, cet amour invisible par lequel Jésus disait à Dieu : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ; entre tes mains je remets mon esprit. » Il fallait la lumière de l’Esprit-Saint dans le cœur de la Vierge et de saint Jean pour voir, dans la torture horrible de la Croix, l’Amour Miséricordieux qui détruirait la mort, et qui transformerait la vie.

Frères et Sœurs, la Transfiguration nous est rappelée chaque année pour que nous comprenions combien notre foi chrétienne est paradoxale, combien elle est folle, et défie toute logique humaine. Le signe central de notre foi, notre signe de croix est le signe de la Transfiguration. Et il a quelque chose de provoquant parce qu’il associe intimement l’horreur d’un corps crucifié avec la splendeur glorieuse de la Trinité divine, le Père, le Fils, et le Saint-Esprit. En voyant cela, d’autres monothéismes crient au blasphème, et jurent que Dieu ne peut pas avoir été cloué sur une croix romaine il y a 2 000 ans à Jérusalem. Notre seule réponse est que cette folie est voulue par Dieu, qu’elle est déjà prophétisée dans l’Ancien Testament, depuis le jeune Isaac dans la première lecture que nous avons entendue, jusqu’au Serviteur Souffrant d’Isaïe que nous réentendrons à Pâques, et que la Sagesse de Dieu dépasse infiniment les pensées des hommes.

Faisons l’effort spirituel de comprendre le signe de la Croix que nous faisons si souvent et si machinalement sur nous-mêmes. En son fond, ce signe le plus central et le plus habituel de notre foi signifie qu’au cœur des pires souffrances humaines, connues de Dieu seul, il y a une gloire cachée qui dit que tout n’est pas fini. Le signe de croix des chrétiens, c’est-à-dire le signe de Jésus sur la croix – sa tête, ses pieds, ses deux mains – est le rappel qu’au cœur des tortures les plus mortelles il y a une réalité transcendante qui est humiliée, crucifiée, mais qui est promise à l’éternité de l’amour et de la vie. L’homme charnel dominé par ses convoitises et par ses envies ne peut pas voir cela. Il s’y refuse et il crie au scandale. Il faut un regard spirituel pour accepter de voir que la croix, en elle-même horrible, a quelque chose de beau. Il faut les yeux de la foi pour voir que Jésus lui-même a parlé de sa croix en termes glorieux en disant : « quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32).

Vous le voyez, Frères et Sœurs, le christianisme en son fond n’est pas une religion rituelle, juridique et pratique. Le christianisme en son fond est une religion spirituelle fondée sur l’incarnation de Dieu dans la réalité humaine, sur la présence du Dieu transcendant et invisible même dans la vie la plus affligée, sur la puissance de l’amour et l’espérance de la résurrection même dans l’existence la plus défigurée.

Nous sommes des millions de chrétiens dans le monde qui refaisons chaque jour le signe de la croix et qui manifestons, sans en être bien conscients, le poids spirituel et humain de ce signe. Aujourd’hui nous devons le comprendre un peu mieux. Au cœur du christianisme il y a une croix hideuse parce qu’au cœur de cette Croix il y a l’amour le plus grand et le plus magnifique. Au cœur de la religion du monde la plus humaine et la plus divine, il y a une humanité défigurée par la violence des hommes, mais transfigurée par l’amour de Dieu qui la rend belle et capable de guérir les multitudes, selon la prophétie du prophète Isaïe (Is 53,10s). La foi chrétienne voit en toute humanité qui souffre un grand amour qui est blessé mais qui porte en lui l’espérance d’une résurrection. En ce sens, le regard chrétien sur les destructions du monde espère toujours des reconstructions sous une forme ou sous une autre. Le regard chrétien sur le monde est donc un regard de transfiguration chargé d’espérance.

Nous n’avons pas vu de nos yeux la splendeur du Christ ni sa Crucifixion. Nous n’étions pas sur la haute montagne de l’évangile, ni sur le Golgotha de Jérusalem. Et pourtant, si nous y consentons, la foi et les sacrements gravent en nous profondément, jour après jour, ce rayonnement du Christ et sa croix qui ont la puissance de remplir d’amour toutes nos souffrances, et de les changer de l’intérieur, en nous les faisant vivre en union avec le Christ.

Nous sommes alors pour le monde les dépositaires du mystère du Christ. Nous sommes les dépositaires indignes de sa Transfiguration que Dieu veut donner au monde frappé par les guerres et par les catastrophes, pour que le monde puisse vivre toutes ses épreuves en union d’amour avec le Christ, et trouver dans ces épreuves-mêmes la promesse et l’espérance de la vie éternelle. Cette gloire du Christ et sa Croix nous habitent et nous prennent invisiblement dans notre être même, à la seule condition que nous fassions humblement et librement ce que notre Père nous demande : « Écoutez-le, c’est mon Fils bien-aimé. » Nous portons en nous-mêmes, par amour de Dieu et en toute liberté d’esprit, un mystère que nous ne voyons pas, mais que nous exprimons quand nous faisons le signe de la croix. Nous portons en nous-mêmes le sacrement de la gloire à laquelle tout homme est appelé jusque dans ses déchéances les plus extrêmes. Telle est la grandeur de notre foi qui se manifeste par notre signe de croix.

Frères et Sœurs, il n’y a aucune autre foi religieuse qui donne autant d’importance au corps humain, et qui le glorifie autant, à cause du corps de Jésus glorifié sur la montagne. Il n’y a aucune autre spiritualité en ce monde qui élève autant la conscience humaine, en promettant à nos pauvres corps une splendeur éternelle, alors même qu’en apparence nous disparaissons entièrement dans la souffrance et dans la mort.

C’est que Dieu veille sur les siens, sur ses créatures. Et, comme l’a dit saint Paul dans la deuxième lecture, « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Même la mort sera vaincue. Et elle l’est déjà partout où l’amour la transfigure en passage vers la vie éternelle. Alors, demandons à Dieu qu’il affermisse notre espérance, et que dès ici-bas nous soyons forts de sa bonté pour tous les hommes, et heureux de pouvoir partager cette bonté autour de nous. Amen.

Père Patrick Faure

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