Cette autorité qui libère

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Homélie prononcée le 31 janvier 2021

Frères et Sœurs,

La première lecture de ce dimanche matin nous rappelle que Moïse au désert a été le médiateur entre Dieu et Israël. Au Sinaï, la manifestation de Dieu effrayait le peuple hébreu. Et, pour que le peuple n’ait plus peur, Dieu lui a donné Moïse comme prophète qui parlerait en son nom, et qui donnerait aux israélites sa Loi et ses commandements de vie. L’autorité de Moïse lui venait de son intimité avec Dieu. Le livre de l’Exode nous le dit clairement : « Dieu parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle à son ami » (Ex 33,11). Lorsque Moïse s’adressait à Israël pendant l’Exode et déjà en Égypte, sa seule référence directe était donc Dieu lui-même dont il transmettait la parole. Et les autres prophètes après lui ont fait de même.

Mais après Moïse et les derniers prophètes, lorsqu’il n’y a plus eu de prophètes, ce sont les scribes et les rabbins qui ont pris le relais. Et n’étant pas eux-mêmes prophètes, ils se sont surtout investis dans les commentaires et les questionnements sur la Loi donnée par Dieu. Ils ont progressivement constitué la tradition juive, dans laquelle ils se citent beaucoup les uns les autres. Et il faut reconnaître que la puissance de réflexion déployée dans cette tradition est phénoménale, et qu’elle est susceptible de fasciner l’esprit par ses spéculations et par son inventivité. Reste, pourtant, que, dans cette tradition juive elle-même, la parole d’autorité qui dépasse tout, c’est la parole de Moïse au Sinaï.

Or, c’est cette force et cette autorité, tout entière issues de l’intimité de Dieu, qui surgissent à nouveau en Israël en la personne de Jésus. Il est, lui Jésus, le prophète semblable à Moïse que Dieu lui-même avait annoncé. Il se situe dans la ligne de Moïse, et il va même au-delà, puisqu’avec Dieu il n’est plus seulement intime, il est Un : « moi et le Père, nous sommes Un », dit Jésus dans saint Jean (Jn 10,30). Et cette revendication est aussitôt jugée blasphématoire.

L’autorité du Christ, le nouveau Moïse, réclame qu’on l’écoute au moins autant qu’on écoute les 10 commandements transmis par Moïse : « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur », nous a dit le Psaume, sauf qu’en plus d’écouter le nouveau Moïse et de recevoir son autorité suprême, ses disciples s’attachent à lui comme on s’attache à Dieu, et se donnent à lui comme on se donne à Dieu jusque dans le martyre.

C’est ce don total de soi que saint Paul vise dans la deuxième lecture. Et, quand il parle d’être divisé ou partagé entre l’amour de Dieu et l’amour de son conjoint lorsque l’on est marié, ce n’est pas pour décourager les chrétiens de s’engager dans le mariage, c’est plutôt pour les appeler à ne pas mettre sur le même plan leur désir de plaire à Dieu et leur désir de plaire à leur conjoint, parce que c’est de Dieu qu’ils reçoivent leur conjoint, tout comme leurs enfants, leur famille et leurs proches. Et c’est en mettant Dieu à la première place dans leur vie, que tout le reste s’ordonne dans l’amour et dans la vérité, dans la justice et dans la paix. Écouter Jésus le nouveau Moïse, et marcher à sa suite, c’est donc se donner entièrement à lui.

Et c’est donc, aussi, rencontrer immanquablement les forces qui s’opposent à cette marche à sa suite, et à ce don de soi. L’évangile d’aujourd’hui nous en donne un bel exemple. Saint Marc nous montre Jésus enseignant dans la petite synagogue de Capharnaüm, cette humble bourgade au bord du lac et dont le nom signifie « village de consolation ». C’est dans ce hameau de pêcheurs que Pierre habite. Et c’est chez lui que Jésus s’installe, après avoir quitté Nazareth.

En ce jour de sabbat, ce samedi matin, les fidèles de la synagogue sont frappés par l’enseignement de Jésus. Ils sentent qu’il ne parle pas comme un scribe, et que sa parole simple et sobre, claire et concise, fait entendre à frais nouveaux ce que d’autres prophètes ont dit avant lui, à commencer par Jean-Baptiste : « le Royaume de Dieu est proche, convertissez-vous, changez de vie, redressez vos voies, retrouvez le sens de Dieu, du partage et de l’équité ». La nouveauté n’est pas tellement dans le contenu du message. Elle est bien plutôt dans la présence de celui qui parle, et dans l’ouverture du cœur et des oreilles que cette présence provoque d’une manière inattendue, inhabituelle.

Il en va de même pour nous, Frères et Sœurs, dans la vie de l’Église qui est l’épouse et le corps du Christ. Pas seulement dans la liturgie, à la messe le dimanche ou en semaine ou en d’autres circonstances, mais aussi en dehors de la liturgie, quand nous lisons ou entendons, seuls ou avec d’autres, telle ou telle phrase de l’Évangile ou du Nouveau Testament, nous pouvons, de manière inattendue et inhabituelle, nous sentir concernés, saisis, touchés, comme si cette phrase était pour nous, et pour stimuler notre réflexion sur Dieu, sur nous-mêmes et sur notre vie au milieu du monde. Même formulée modestement, la parole entendue devient puissante et chargée d’une autorité qui nous appelle et qui nous éclaire. C’est déjà le signe que Jésus nous atteint.

Mais les choses n’en restent pas là. Et, au cas où nous aurions besoin d’une démonstration un peu forte, l’évangile d’aujourd’hui et la réaction de l’homme tourmenté par un esprit impur nous disent que la parole du Messie dans la synagogue, ou du Christ dans l’Église, pique au vif, tôt ou tard, le mal qui peut dormir en nous. Dans cet exorcisme haut en couleurs que Jésus accomplit ce matin à Capharnaüm, dans « le village de la consolation », saint Marc nous montre qu’on peut être pratiquant régulier de sa religion juive ou chrétienne, et vivre dans une impureté tout aussi régulière, c’est-à-dire dans une disposition d’esprit qui nous empêche d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de toute notre force, et notre prochain comme nous-mêmes.

Or, de toute évidence, il y a un moment où l’enseignement du Christ contrarie, bouscule, dérange l’esprit impur qui se sent agressé, qui se rebiffe et qui crie : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? ». C’est que, voyez-vous, Frères et Sœurs, lorsqu’un esprit impur nous domine, il s’arrange pour nous faire croire qu’il est absolument inconcevable de vivre autrement que dans l’impureté, ou encore qu’il est totalement impensable d’être libérés de la dépendance, des mécanismes et des addictions dans lesquels on se trouve.

Mais là où la parole du Christ nous libère, par sa puissance et son autorité, c’est lorsqu’elle nous dit que nous pouvons changer de vie, et que nous pouvons respirer un jour l’air pur des sommets lumineux, où l’on est en harmonie avec Dieu, dans la grâce d’aimer comme il aime, en se donnant et en s’oubliant soi-même.

Le premier degré, le premier moment de notre libération, c’est de croire et de penser que le Christ peut nous libérer. Pas d’abord de nous libérer de nos douleurs physiques, de nos maladies chroniques ou infectieuses, même s’il en est capable par miracle ou par médecine. La première marche de notre libération, c’est de croire et de penser que le Christ Jésus peut transformer notre cœur, quitte à nous déstabiliser au prix de convulsions et de cris intérieurs, mais, parfois aussi, dans les larmes et la tendresse d’une douceur infinie.

Et le ressort de cette libération, le principe actif de cette autorité libératrice que le Christ exerce par sa parole, c’est toujours le même.
C’est son amour pour nous qui nous veut libres et désencombrés de nous-mêmes, pour que nous donnions le meilleur de nous-mêmes. Cela, nous le désirons tous, même si nous connaissons bien ce qui nous en empêche.

Alors, Frères et Sœurs, quand on croit qu’on peut être ainsi libéré de soi-même et de ses mauvais esprits par l’autorité pleine d’amour du Christ, et qu’au plus profond de soi on désire lâcher prise et s’abandonner vraiment à la bonté de Dieu, on ne confesse plus la foi de l’Église par simple habitude, sans trop y penser. On ne dit plus que Jésus est « le Saint de Dieu » comme on dirait autre chose.

Et, si l’on pousse des cris à cause de lui, ce sont déjà des cris de joie. Eh bien, que cette joie vienne en nous maintenant, quitte à nous étonner. C’est la joie-même de Dieu qui nous prend avec lui, pour que, comme dans l’évangile, nous répandions sa renommée partout autour de nous. Amen.

Père Patrick Faure

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