Prier de tout son désir

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Homélie prononcée le 20 octobre 2019

Frères et Sœurs,

Lorsque nous entendons cette parabole de la veuve importune qui harcèle un juge inique pour obtenir justice, nous nous identifions spontanément à cette veuve, et nous comprenons que nous devons prier Dieu avec autant d’insistance qu’elle pour obtenir justice, puisque le Seigneur Jésus lui-même nous donne cette parabole pour nous faire persévérer dans la prière, sans nous décourager. Il s’agit bien d’une prière de demande. Et nous pourrions alors penser que le Christ nous encourage à demander sans cesse à Dieu telle ou telle justice ou bienfait ou amélioration de notre sort, et qu’il nous encourage à les demander avec une telle obstination que nous serions autorisés à faire de nos demandes et de nos besoins la matière première de notre relation à Dieu.

Or, étonnamment, la parabole ne s’intéresse pas beaucoup à l’objet demandé par cette femme veuve. De quel différent judiciaire s’agit-il avec son adversaire ? Nous ne le savons pas. Et d’ailleurs, de quel adversaire s’agit-il ? Nous ne le savons pas non plus. La parabole n’insiste pas sur ce que cette femme demande, mais sur le fait qu’elle demande, et qu’elle demande sans cesse jusqu’à exaspérer le juge qui finit par lui rendre justice.

Pourquoi le Christ Jésus nous enseigne-t-il ainsi à présenter sans cesse à Dieu nos besoins que, de toute façon, Dieu connaît déjà bien avant que nous les lui disions ?

Saint Augustin répond que le Christ nous enseigne à faire ainsi pour qu’au milieu des multiples occupations de notre vie, nous entretenions en nous le désir de prier. Car, au fond, prier Dieu n’est pas une question de choses qu’on demande. Prier Dieu est une question de désir, et de désir de la vie bienheureuse auprès de lui quelles que soient les circonstances et les dispositions dans lesquelles nous nous trouvons. Au milieu des plus grandes souffrances, comme au sommet des plus grands bonheurs, le cœur humain est libre de se tourner vers Dieu ou de se détourner de lui. Dans la même catastrophe qui frappe et qui ravage, telle personne va se révolter contre Dieu et dire qu’il n’existe pas, et telle autre va s’enfoncer en Dieu, dans le silence et dans la solitude intérieure. Mais toujours, et quelle que soit sa forme, y compris la plus pauvre et la plus dépouillée, la prière est là pour entretenir le désir de Dieu et de sa présence au-delà de tout.

Et que l’on prie longtemps comme Jésus qui passait la nuit en prière, ou que l’on prie moins longtemps mais souvent, comme les moins d’Egypte et du désert, dans tous les cas il s’agit de se garder dans la présence de Dieu, peut-être par des phrases et des discours, mais toujours, au fond, par des gémissements et des mouvements du cœur que nous avons peine à décrire et qui, en réalité, nous échappent.

Nous ne savons pas vraiment ce que la veuve de l’évangile demande avec tant d’insistance dans sa prière. Ceci pour que nous comprenions, comme le dit saint Paul, que « nous ne savons pas ce qu’il faut demander pour prier comme il faut » (Rm 8,26). L’objet ultime de notre prière nous échappe, et il doit nous échapper. Et c’est normal, puisque cet objet ultime, c’est Dieu lui-même.

Prier comme il faut, ce n’est pas demander des choses à Dieu. C’est demander Dieu lui-même. Ne demander à Dieu que la satisfaction de nos besoins, c’est placer Dieu dans le domaine de l’utile, pas dans le domaine de l’amour. Nous pouvons passer notre temps à demander à Dieu que nos affaires marchent bien, et qu’il bénisse nos familles et nos entreprises, en nous donnant la tranquillité de vie et la prospérité telles que le monde les désirent. Mais, dans ce cas, nous ne désirons pas Dieu lui-même. Et nous montrons bien que nous ne savons pas ce que nous devons demander pour prier comme il faut.

Nous avons besoin de bien des années pour découvrir et pour comprendre qu’au-delà de nos demandes intéressées nos désirs et nos gémissements plus profonds rejoignent, comme le dit encore saint Paul, tous les désirs et les gémissements de la création, parce qu’ils sont, en nous, l’œuvre de l’Esprit-Saint qui intercède pour nous, et qui correspond aux vues de Dieu (Rm 8,27). Les priants que nous sommes appelés à devenir doivent s’unir à la création entière pour désirer Dieu. Et Dieu nous fera justice d’une manière qui pourra nous surprendre bien au-delà de ce que nous lui aurons demandé.

Car Dieu n’est pas le juge inique de la parabole. Dieu est juste et bon. Le juge de la parabole ne craint pas Dieu et ne respecte personne, ce qui est une façon de nous dire que la justice devient inique et injuste envers les hommes lorsqu’elle ne craint pas Dieu, et lorsqu’elle fait comme s’il n’existait pas. La justice juste et bonne est celle qui respecte la personne humaine parce qu’elle respecte Dieu qui garantit la dignité inaliénable de cette personne. Dans sa parabole, notre Seigneur ne compare donc pas Dieu à un juge inique. Bien sûr que non. Mais ce qu’il veut nous dire, c’est que si même un mauvais juge finit par rendre justice pour être tranquille, alors à combien plus forte raison le bon juge qu’est Dieu rendra-t-il justice à ceux qui crient vers lui par leur prière incessante.

Mais alors, s’il en est ainsi, la parabole nous invite à faire un pas de plus. Car si un mauvais juge nous est montré en exemple pour nous faire penser à son contraire qui est le bon juge suprême, c’est-à-dire Dieu, alors cette femme veuve qui, elle aussi, nous est montrée en exemple est peut-être là, dans la parabole, pour nous faire penser à son contraire qui est la femme suprême, non veuve, qui a son mari, c’est-à-dire pour nous faire penser à l’Eglise qui est l’épouse du Christ ressuscité qui ne mourra jamais. Et la prière insistante de la veuve qui obtient justice auprès du mauvais juge est là pour nous parler de la prière de l’Eglise qui obtient justice auprès de Dieu, bien au-delà de ce qu’on peut demander ou concevoir, ou même imaginer.

Dieu exaucera la prière insistante de l’Eglise d’être libérée des prédateurs sexuels qui auront sévi en son sein, parce que cette prière n’aura pas seulement demandé la neutralisation des criminels et l’aboutissement des procédures judiciaires, mais parce que cette prière aura désiré en son fond la régénération morale et spirituelle des relations entre les hommes et les femmes, à commencer par les prêtres avec les femmes et les enfants, comme seule peut le désirer profondément une épouse persévérante et inspirée auprès de son époux qui la justifie et qui la sanctifie par le baptême et par son Esprit-Saint.

Et, dans le même élan, Dieu exaucera la prière insistante de l’Eglise de sauvegarder dans l’humanité un espace de respect pour les enfants à naître et pour leur croissance face aux pulsions et aux orientations des adultes, parce que cette prière aura désiré profondément cette sauvegarde et cette protection comme seule une femme peut les désirer avec persévérance auprès de son mari qui est l’image même du Père, et la vérité de notre humanité.

Mais cette prière de l’Eglise, c’est la prière de l’Epouse avec ses nombreux enfants. C’est la prière de l’assemblée où le prêtre et les fidèles intercèdent ensemble pour sauver le monde, comme Moïse avec Aaron et Hour, dans la première lecture, intercédaient ensemble pour sauver Israël de la destruction programmée par les amalécites. Dieu écoute la prière des croyants qui persévèrent ensemble dans la fidélité.

Alors, Frères et Sœurs, quand le Seigneur Jésus termine sa parabole en demandant si le Fils de l’Homme à son retour trouvera la foi sur la terre, il demande, en réalité, si l’Eglise va persévérer jusqu’au bout dans sa mission de prière et d’intercession pour les chrétiens et pour le monde entier.

Disons que l’Eglise qui est au ciel avec la Vierge Marie et les saints accomplira toujours cette mission pour soutenir les croyants qui sont encore sur la terre. Mais, ajoutons alors que, forts de ce soutien, nous qui sommes dans l’Eglise en chemin ici-bas, nous avons la charge et la responsabilité d’intercéder pour notre humanité, notre planète et notre avenir spirituel. Et il nous appartient d’aider nos contemporains à ne pas perdre la référence à Dieu et l’ouverture à sa transcendance pour que le jour où le Christ les visitera d’une manière nouvelle ils soient capables de le reconnaître. Prions donc sans nous décourager, ensemble et en confiance, pour que nous portions autour de nous le désir de Dieu, la joie de sa présence, et la paix de son amour. Amen.

Père Patrick Faure

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