Jeanne d’Arc paradoxale et actuelle

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Homélie prononcée le 10 mai 2020

Frères et sœurs,

En ce cinquième dimanche de Pâques, le Seigneur Jésus nous dit dans l’Évangile « celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père ». En ce deuxième dimanche de mai, la loi française de 1920 célèbre officiellement Jeanne d’Arc par qui la ville d’Orléans a été libérée du siège imposé par les anglais, en 1429. Il y a exactement cent ans, le pape Benoît XV canonisait sainte Jeanne d’Arc. Et deux ans plus tard, le pape Pie XI la déclarait patronne secondaire de la France, après la Vierge Marie en son assomption. Jeanne est un bel exemple de ce le Christ accomplit de plus grand par ses saints et par ses saintes. De plus grand, et il nous faut le comprendre ce matin, avec cette jeune fille au parcours fulgurant qui s’est déroulé sur le terrain politique et militaire où le Christ lui-même n’a jamais voulu s’avancer. Pourtant c’est bien lui, le Christ, le Seigneur Jésus, le Roy du ciel, dont le nom béni est gravé avec celui de sa sainte Mère sur l’étendard de Jeanne.

Comment comprendre, Frères et Sœurs, que Jeanne ait reçu du Christ, par les voix de Saint Michel Archange, Sainte Catherine et Sainte Marguerite, la mission temporelle de délivrer la France de l’envahisseur anglais, alors que le Christ lui-même n’a pas voulu délivrer Israël de l’envahisseur romain ? Comment comprendre que Sainte Jeanne d’Arc ait reçu du Christ une mission temporelle et militaire, alors que le Christ lui-même s’est abstenu, voire interdit d’entrer dans une mission temporelle pour libérer son propre peuple ?

Une réponse à cette question pourrait être la suivante : Jeanne est une petite fille de treize ans, née d’une famille paysanne de Domrémy sur les marches de Lorraine. Jeanne ne vient pas d’Ile-de-France. Elle ne vient pas du cœur du Royaume de France, mais seulement de ses marches. Elle vient d’une petite enclave de suzeraineté française, un peu perdue dans la grande Lorraine, et toute tournée vers la Lorraine. Jeanne le dit elle-même à sa façon : « quand je vins en France, j’entendais souvent mes voix. Elles m’ont dit qu’il était nécessaire que je vinsse en France. Deux ou trois fois par semaine, elles m’exhortaient à partir pour la France. Je dis alors au Capitaine qu’il fallait que je vinsse en France. » Jeanne ne vient pas du cœur battant de la France puisqu’elle y va, contrairement à Jésus qui est du cœur d’Israël, puisqu’il est né à Bethléem, tout à côté de Jérusalem. Et là est la différence fondamentale, qui, d’une certaine manière, justifie que Jeanne ait reçu du Christ une mission temporelle.

Il n’y avait aucun risque, aucune chance, que la pucelle d’Orléans revendiquât pour elle une quelconque royauté, vu sa naissance, contrairement à Jésus de Nazareth, né à Bethléem, Fils de David, et de lignée royale. Voilà cette différence fondamentale qui fait que la mission de Jeanne, bien que temporelle, ne pouvait prétendre à aucun pouvoir temporel, conformément à la mission et à la volonté du Christ en Israël qui avait refusé la royauté, lors même que ses disciples voulaient le couronner pour faire de lui un Roi.

Cette différence fondamentale due, en quelque sorte, à la marginalité géographique de Jeanne, est pour nous importante, car elle nous met sur la voie d’une dimension constitutive de la France, dimension qui veut que la France ne se constitue pas seulement à partir de son cœur, mais se constitue aussi à partir de ses marges, et, plus largement, à partir de l’extérieur d’elle-même, France qui se construit aussi à partir de ses éléments frontaliers, comme l’était Jeanne, et plus largement à partir des éléments qui lui sont extérieurs.

Une France qui se constitue, qui se confirme et qui se défend à partir de celles et ceux qui à sa limite ou en dehors d’elle-même la rappellent à ce qu’elle doit être. Jeanne d’Arc tourne nos regards non pas d’abord vers nous-mêmes, vers chacun ou chacune d’entre nous qui aurait à se dire « comment vais-je résister à tel ou tel envahisseur ? ». Non. Jeanne, parce qu’elle vient de Lorraine, tourne nos regards vers celles et ceux qui, sur les bords ou en dehors de la France, attendent et demandent que la France soit ce qu’elle doit être. A travers Jeanne d’Arc, Dieu protège et défend ce que le monde attend de la France. A travers Sainte Jeanne d’Arc, le Seigneur protège et défend ce que le monde demande à la France. Et que demande le monde à la France ? Qu’attend-il d’elle qui lui soit propre, et qu’il veuille la voir confirmer en elle, surtout sous l’égide et le patronage de Sainte Jeanne d’Arc ?

Pour répondre au moins par un exemple, s’il est un ciment de la France qui fait la France, avant même ses frontières, n’est-ce pas d’abord la langue française ? Ce ciment de notre pays qu’est notre langue. Cette langue, que d’autres dans le monde nous demandent non seulement de promouvoir dans un dialogue ouvert et fécond avec d’autres langues et d’autres cultures, mais aussi de défendre et de protéger contre l’envahisseur et contre l’invasion. Et Sainte Jeanne d’Arc convient tout à fait à cette préservation, à cette défense et à cette promotion de notre langue française dans le Monde d’aujourd’hui.

L’esprit de Jeanne d’Arc souffle sur ces Canadiens qui viennent nous demander d’être nous-mêmes dans notre langue, et de ne pas nous laisser envahir. Il souffle cet esprit de Jeanne d’Arc sur ces nations africaines qui ont en partage notre langue, ou d’autres pays du Proche et de l’Extrême Orient, qui nous demandent de promouvoir cet outil magnifique et merveilleux qu’est devenue la langue française. Car, lorsqu’on parle d’une langue, on parle aussi d’une culture, d’une pensée, d’une manière de vivre. Et les Nations qui ont notre langue en partage demandent et attendent de la France qu’elle maintienne dans sa pensée, dans sa culture, dans sa manière de vivre, l’équilibre qui la caractérise au milieu des autres Nations.

Cet équilibre de la pensée est difficile, mais il est salutaire. Cet équilibre de la pensée est toujours à maintenir et à rechercher entre ses deux ennemis extrêmes et opposés que sont, d’une part, un rationalisme envahissant qui est source d’athéisme et, d’autre part, un irrationnel tout aussi envahissant qui est source de fanatisme. Entre ces deux extrêmes opposés, l’équilibre difficile et salutaire de la pensée française est l’équilibre d’une rationalité ouverte qui est source d’une spiritualité universelle qui convient si bien à la Foi catholique. Voilà cette attente que notre pays doit assumer, attente d’un dialogue heureux, réconcilié, entre la Foi et la Raison pour la liberté des esprits.

Jeanne n’est pas venue du cœur de la France. Mais elle y est venue par sa destinée. Jeanne fait partie de ces héroïnes qui nous invitent à regarder ensemble et à recevoir les requêtes de ceux et celles qui, dans le monde, attendent de notre pays qu’il soit à la hauteur de son rang, qu’il puisse élaborer pour le monde, dans plusieurs domaines de la pensée, de la culture et de la spiritualité, ce développement de l’esprit qui allie en même temps la Raison, la Foi et la Liberté. Voilà cette mission si belle que Jeanne veut protéger dans notre pays. Voilà cette mission si grande qui sait combien il est important pour une nation de se retrouver elle-même dans sa culture et dans sa langue avant même la fixation de ses frontières.

Pour finir je voudrais laisser la parole à celui qui est devenu célèbre pour avoir déclaré que « le troisième millénaire serait religieux ou ne serait pas ». Je voudrais laisser la parole à André Malraux qui salua Jeanne le 30 mai 1964, à Rouen, là même où elle fut brûlée, là même où l’on ramassa son cœur, André Malraux qui s’exprima ainsi au sujet de la seconde patronne de notre pays, je le cite : « Dans ce monde où le Dauphin doutait d’être Dauphin, la France d’être la France, l’armée d’être l’armée, Jeanne refit l’Armée, le Roi, la France. Ce pauvre cœur qui avait battu pour la France, comme jamais cœur ne battit, on le retrouva dans les cendres et l’on décida de le jeter à la Seine, afin que nul n’en fît des reliques. Oh, Jeanne, sans sépulcre et sans portrait, toi qui savais que le tombeau des héros est le cœur des vivants, peu importe tes 20000 statues sans compter celles de nos églises. A tout ce pour quoi la France fut aimée, tu as donné ton visage inconnu ».

Père Patrick Faure

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